Qui suis-je ?

30 juillet 1989

Un jour de fin juillet, les portes de verre d’un aéroport lointain se sont refermées derrière moi en me séparant d’un monde et d’une vie.

Je ne me rappelle pas des pas qui m’ont amené vers l’avion, mais je me rappelle qu’il m’a déposé dans un paysage amorphe et incolore, mais merveilleux, car tant désiré.

Entre mes mains je tenais avec soins mes 75 kg de chemises et pantalons et des dizaines de photocopies de diplômes et cartes de travail alourdies par des timbres fiscaux décolorés et couverts d’une manière très réglementaire par de tampons officiels, inesthétiques et inutiles, accompagnés de signature d’un personnage aussi inutile que craint, roupillant quelque part dans un fauteuil austère, au milieu d’un grand bureau sans fenêtres ni chauffage, gardé, très bien gardé par des soldats sans uniforme avec des armes lourdes et démodées et sans balles …

Derrière moi je laissais des rêves consommés pendant les longues heures d’attente devant des guichets entrouverts, à travers lesquels je soupçonner la présence de visage a moitié cachée par des foulards crochetés a la main qui arrivaient difficilement à cacher des yeux sans vie et des bouches tordues par la haine contre … les radiateurs en panne depuis des mois… ces bouches , en échange de quelques paquets de cigarettes américaines et d’un paquet de café de contrebande, articulaient avec difficulté, mais avec plaisir le  NON, refus que l’on soupçonnait et qui avec le temps augmentais l’angoisse et l’inquiétude…mais un jour le OUI est arrivé dans une enveloppe tachée par la main sale du facteur rubensien , jovial forcement, dans l’attente du bacsis  promis…derrière moi je laissais encore les regards des parents et des amis qui , a l’époque je pensais ne  jamais revoir…et encore quelque chose très important, l’absence de regrets (pareri de rau fara consecinte , bilanturi negative minime), l’accord constant et solide avec moi-même…

radu 

29 mai 2008

20 ans plus tard …

     Quelque part, loin, très loin, dans une forêt imaginaire …
          à la frontière virtuelle d’un pays qui n’a jamais existé …
    … C’est ici que le destin planta un petit et fragile arbre symbolique.

Comme tout symbole il trouva la force de pousser plus fort, plus vite et plus haut que tous les autres arbres…et lorsqu’il est devenu plus profond que vert et plus courageux que touffu, en plein milieu de son tronc apparu une belle et profonde skorboura ,remplie de rêves, de souvenirs trop beaux pour être vrais, de fantasmes interdits et de douleurs trop atroces pour être supportables et vite oubliés .Cette skorboura était à moi, à moi tout seul ! remplie de moi-même et par moi-même , « je » divisé en mille morceaux, quand rassemblés soigneusement, quand éparpillés sans espoir de retrouvailles… dans une folle harmonie ,folle , très folle …

« Ce n’est pas la crainte de folie qui nous forcera à laisser en berne le drapeau de l’imagination »
(André Breton –Manifestes du surréalisme)


Il y a la folie qu’on enferme et  il y a la folie qu’on admire et lorsqu’elle se promène dans la rue, en toute liberté, elle est enviée par la foule protégée par le vide silencieux qui se forme autour (par respect, par peur, par incompréhension et par ignorance)...

De temps en temps, ce vide est percé par une tentative d’abordage. Le vaillant est :
- soit expulsé violemment vers l’au delà dont il vient, frappé jusqu’au sang pour qu’il comprenne une fois pour tout que sa place est ailleurs .Le rouge giclé de ses artères déchirées en témoignent sur les murs. Symbole de barrières infranchissables...
- soit retenu, chouchouté et vivement remercié. Il sera aimé comme seulement ceux qui nous aiment peuvent l’être. Il sera réchauffé par nos larmes de reconnaissance. On lui trouvera des qualités que même ses proches ne soupçonnaient pas auparavant

Et tout ça, parce qu’il a traversé l’espace artificiel qui nous séparait. Il l’a traversé avec la foi, étant à l’écoute des rêves, des idées, des soupirs et des controverses, que peut-être (j’ai dit peut-être), il trouvera…

Une fois ce pas franchit, il est avec moi; il est maintenant, assis tout prés de moi. Albinoni et André Breton trouvent la vraie dimension dans notre poignée des mains. Nous nous comprenons, ou au moins nous sommes prêts à nous comprendre, ce qui est déjà beaucoup !

Il regarde les tâches de sang sur le mur. Avec le temps elles sont devenues verdâtres, elles ont changé de forme, les contours sont devenus flous… Elles ressemblent à un alphabet universel qui traverse le temps et les cultures, porteur d’un message. Le message de ceux qui ne sont pas avec nous et ceux qui n’ont pas pu vouloir être avec nous…

On les pardonne, eux, ceux qui sont porteurs de l’insurmontable indifférence !

On ne pardonne pas le mal avec un « M » majuscule, l’envie, le mensonge, l’arrogance, le détenteur de l’absolument et profondément Faux …                  

Cernay la V.
radu